tallulah | the magic of the good old days

La journée avait été longue, si longue que Moira était presque étonnée de la voir toucher à sa fin. L'une de ses serveuses n'était pas venue au boulot, sans un coup de téléphone ou simple texto, ses clients s'étaient montrés nombreux et, pour certains, profondément irrités et irritants, et pour finir l'un de ses amis avait eu la charmante idée de l'appeler pour lui parler de Kit – la cerise sur le gâteau, really – et il avait en plus eu l'audace de se vexer lorsqu'elle l'avait informé de son profond désintérêt pour ce genre de coup de fils. En quoi était-il surprenant que ce type d'initiatives soit mal reçu, franchement ? Il lui fallait un nouveau set d'amis, as soon as possible. Elle avait sérieusement envisagé la possibilité de faire ses valises pour aller retrouver l'un ou l'autre des membres de sa deuxième famille, for real. Moira était douée pour gérer les achats de tickets d'avion at the very last minute et autres détails importants d'une fuite improvisée. Mais fuir ainsi aurait contrarié ses plans pour le week-end, puisque Tallulah était en ville. Also, sa disparition après une agaçante conversation à propos de Kit aurait eu l'air d'un aveu de culpabilité – ou, en tout cas, d'une admission de nope, I didn't really move but let's not talk about it. Et elle avait tourné la page, vraiment. Si elle ne voulait plus jamais se retrouver face à son ex, ça n'avait rien d'étrange. Right ? Elle n'était pas la seule à ne pas souhaiter rester en bons termes ni même en contact avec quelqu'un dont elle avait partagé le quotidien si longuement. Et si d'ordinaire, elle se fichait royalement de ce que les autres pouvaient faire, dire ou penser, dans cette situation précise, elle était plus que ravie de pouvoir se fondre dans la masse. Tallulah comprendrait, elle écouterait sans la juger et approuverait sa décision. Rester éloignée était la meilleure solution et c'est la raison qu'elle se donna pour faire un large détour après avoir fermé sa boutique. Le restaurant où il avait atterri – peut-être qu'elle avait entendu des rumeurs, ok ? mais elle ne s'était pas spécialement intéressé à lui, pas vraiment – se trouvait à quelques pas à peine de son propre établissement et elle savait qu'elle passait devant tous les jours ou presque. Mais pas aujourd'hui, non, aujourd'hui, elle refusait de prendre le risque de tomber sur lui ou de croiser son regard à travers la vitrine. Aujourd'hui, elle voulait rentrer saine et sauve, sans crainte ni mauvais souvenir, juste rentrer à temps pour retrouver Tallulah à la sortie de son taxi depuis l'aéroport. Après tout, elles ne se voyaient pas souvent et il fallait profiter, même si à l'heure de Facetime et Skype, il était difficile de vraiment se manquer.

Après un trajet de retour bien plus long qu'à l'ordinaire et un voyage souterrain dont elle se serait volontiers passé, Moira gagna finalement son appartement, juste à temps pour ne pas finir trempée par la pluie, toujours là au bon moment. « Damnit » grogna-t-elle avec un coup d'oeil à la fenêtre contre laquelle semblait s'acharner la pluie battante. Ce n'était pas exactement le cadre idéal pour accueillir sa meilleure amie, de passage pour quelques jours. Peut-être aurait-elle dû aller, elle, à New Dehli. Peut-être qu'un tel voyage lui aurait fait du bien. Il faudrait qu'elle en parle à Tallulah, tiens. A Beena aussi. Peut-être, peut-être. La prochaine fois, certainement, mais fallait-il encore que Tallulah arrive. Tout en préparant l'eau pour son thé, Moira tâcha de lui envoyer un message, théière dans une main et portable dans l'autre – the recipe to a disaster. Elle sursauta en entendant la sonnette de l'entrée mais parvint à garder la théière en main. Son portable, lui, rencontra le sol dans un bruit sourd mais elle ne s'en préoccupa pas tout de suite, préférant aller ouvrir, un grand sourire aux lèvres. « J'ai failli attendre » lança-t-elle à Tallulah, haussant un sourcil. God, il lui semblait qu'elles ne s'étaient pas vues depuis des années. « Entre, entre » l'invita-t-elle, avec un empressement qu'elle ne réservait qu'aux personnes qui comptaient réellement, profondément. Qu'aux personnes avec qui il était inutile de prétendre l'indifférence, avec ceux qui voyaient au-delà. Tallulah comptait parmi ces rares-là et, damn, it felt good to have her here. « Le voyage s'est bien passé ? Oh, j'ai préparé du thé mais si tu veux autre chose, je crois que les placards sont plutôt bien fournis – courtoisie de son beau-père, convaincu qu'à trente-cinq ans, elle n'était toujours pas capable de prendre soin d'elle-même et il n'avait sans doute pas tort – le frigo aussi. Ou on peut commander, peu importe. Désolée, tu dois être crevée et je t'étouffe. Fais comme chez toi babe » Elle récupéra son portable, qu'elle envoya finir sa course dans un tiroir. Plus de coup de fil, plus d'allusion lourde à son ex. Elle avait l'intention d'être agréable ce week-end et d'oublier un peu Kit, la boutique et la grisaille.