ISABEL • no pare sigue sigue

« ¿Papi ? ¿Dondé es la barra de jabón ? »
« En la cocina. »
Isabel soupire alors qu’elle ferme le placard où ils rangent les produits d’entretien. Il est six heures du matin, une demi-heure avant l’ouverture, et évidemment que le savon n’est pas au bon endroit. Doucement, en silence, elle monte les escaliers séparant la bodega de l’appartement. Sa mère dort encore, rentrée aux petites heures après des heures à faire le ménage dans des bureaux du centre-ville. Une seule lumière est allumée dans la cuisine, ce qui permet à Isabel de localiser le savon rapidement et de l’attraper avant de descendre à nouveau les escaliers.
Quelques minutes plus tard elle se retrouve à passer la serpillière, murmurant les paroles d’une chanson qui passe à la radio. Son père est en train de restocker le frigo, rangées après rangées de bouteilles de lait et de jus d’orange bon marché. Leur routine est bien huilée, après des années à faire la même chose tous les matins, sept jours par semaine, et la bodega est prête exactement deux minutes avant six heures et demi.
Isabel va s’asseoir derrière le comptoir, juste à côté de la caisse. Elle sort son cahier et son livre de maths, l’ouvre là où elle s’était arrêtée la veille, et commence à lire même si elle sait parfaitement que le rush du matin va commencer et qu’elle n’aura pas une minute à elle avant neuf heures. L’odeur du café s’installe tranquillement dans la bodega, finissant de la réveiller là où le ménage matinal n’a pas fait son travail.
« Tu café, flaca. »
Son père dépose une tasse fumante devant Isabel, et un baiser sur sa tempe, avant de continuer à empiler des boites de conserve sur une étagère. Isabel sourit légèrement, avant de rire un peu à la main étrangère qui attrape la tasse avant qu’elle ne le puisse. Peau noire, sourire en coin – elle lève les yeux au ciel face au polonais maintenant face à elle. Oskar lui fait un clin d’œil alors qu’il avale une gorgée de café.
Le bar polonais est toujours désert en plein milieu de l’après-midi, seulement deux ou trois habitués buvant leur verre en silence. Oliver est assis au comptoir, tête cachée dans ses bras, une tasse de café devant lui. Isabel rit doucement alors qu’elle s’assoie sur le tabouret à côté de lui, une main sur son épaule.
« On t’a dit d’arrêter la tequila. »
L’anglais grogne une réponse, faisant rire à la fois Isabel et Oskar. Plus encore lorsqu’il répond, « Vous êtes chiants quand même… » Oskar éclate de rire, et Isabel lui balance un petit sourire en coin quand elle arrive à lui reprendre la tasse de café des mains et à finalement en boire une gorgée. Son père a mis trop de sucre, comme d’habitude, mais elle finit son café en quatre gorgées.
« Audra veut sortir ce soir, » le polonais lui annonce de but en blanc.
Isabel fronce le nez, avant de lever la tête lorsque la clochette retentit dans toute la bodega, annonçant le premier client du jour. Elle met sa tasse sur le côté, ferme livre et cahier, et affiche son plus beau sourire pour accueillir José López, le barbier du coin. Elle se tourne, à la fois pour lui servir son café – deux sucres, pas de crème – et pour répondre à Oskar dans un murmure sans être vue.
« J’ai cours ce soir. »
Il hausse les épaules, habitué à ce genre de réponse. « On t’enverra les photos. » Il pose sa main sur le bras d’Isabel, un simple au revoir avant de disparaître. Oliver est toujours assis dans un coin, appuyé contre le comptoir, ce qui fait sourire Isabel. Il va continuer de comater tranquillement pendant quelques heures, mais au moins il ne va pas la distraire de son boulot.
Elle attrape deux barres de céréales, ferme la tasse de café, et se tourne vers José. « Tres y cuarenta. »
« Gracias, bonita. »
Isabel sourit, plus encore au regard noir que son père lance à José, avant d’ouvrir la caisse et d’y déposer l’argent. Déjà, trois autres personnes arrentent leur café con leche, et Isabel se demande si elle arrivera à réviser avant son cours ce soir. Sans doute pas.