IZAAK ▬ j'ai pas encore d'idée de phrase

Sa main est couverte de sang, et la sueur perle sur son front. Il ne s’en tire pas si mal ; sa lèvre saigne et il a sans doute quelques côtes fêlées à certains endroits, sinon il n’aurait pas tant de mal à respirer. C’est un athlète, et même sa consommation excessive de cigarettes ne justifie pas le rythme accéléré des inspirations qu’il prend. Son interlocuteur est étalé par terre, inconscient, baignant dans une flaque de son sang. Il a cogné fort, et comme à chaque fois qu’il le fait, il sent les battements de son cœur contre ses tempes et cette espèce de sentiment bizarre au fond de son ventre, comme de l’adrénaline malsaine. Il patiente quelques instants que le type remue, et quand c’est chose faite, il pose son pied son épaule et se penche un peu en avant. « Je vais te laisser rentrer chez ton patron, maintenant. Je te donne moins de dix minutes pour déguerpir de là. Et quand tu seras rentré chez toi, auprès de ton connard de prénom, rappelle-lui bien que c’est ce qui arrive quand on essaye d’arnaquer les Baranowski », il précise, sec. Il retire son pied et attrape la veste du mec étalé par terre pour le forcer à se relever et à lui faire face. « Dis-lui aussi que la prochaine fois, il ferait mieux de se déplacer pour prendre sa raclée lui-même et que je ne le laisserai pas repartir en aussi bon état que toi », il crache, en le poussant loin de lui pour le libérer. Le mec n’attend pas son reste, et le voilà qui détale pour quitter l’entrepôt miteux dans lequel ils s’étaient donné rendez-vous. Izaak le regarde partir et crache par terre, essuyant sa lèvre qui saigne d’un revers de la manche.

Son portable choisit ce moment pour se mettre à sonner ; Izaak ignore le nom de son grand-père sur le petit écran. Il ne devrait sans doute pas faire ça ; il ferait mieux de répondre et de rappliquer. Mais sa tête lui fait mal et il se sent sale, sans doute à cause du sang séché qui ponctue la majeure partie de ses vêtements. Il fait volte face pour quitter l’entrepôt à son tour et se met à courir pour parcourir les quelques rues suivantes. Le voilà rapidement arrivé à son appartement où il prend une douche douloureuse et se rhabille. Seule une cigarette parvient finalement à apaiser son rythme cardiaque et le sang contre ses tempes. Il s'assoit à la table de sa cuisine et se frotte les yeux, fatigué. Aujourd'hui, ça fait quinze ans que sa mère est partie. Son père était un déserteur, il est sans doute mort à l'heure actuelle, une balle entre les deux yeux qui lui a sans doute été mise là par son propre père, grand-père d'Izaak. Personne ne mentionne jamais son père, sans qu'il ne sache réellement pourquoi. Il n'a jamais posé de questions, et sa mère n'est plus là pour donner de réponse. On ne descend pas les femmes qui partent, c'est la seule raison pour laquelle elle est toujours en vie. Sans doute aussi parce qu'elle n'était que la pièce rapportée qui s'était retrouvée là par erreur. Izaak ne regrette pas sa vie ; il regrette la présence de sa mère, en revanche, et ne peut vraiment s'empêcher de se demander ce qu'il lui serait arrivé si elle était restée pour l'élever, ou, pire, si elle l'avait emmené avec elle.

Il n’a pas le temps d’y réfléchir longtemps, car la porte de son appartement s’ouvre à la volée. « Izaak, ton téléphone ! » tonne une voix grave et rauque. L’entrée de son grand-père s’accompagne d’une inséparable odeur de tabac froid qui le poursuit partout où il se rend.  Izaak tire une énorme bouffée de sa cigarette et soupire. Il aimerait être tranquille - seul - juste une journée pour pouvoir ruminer comme bon lui semble, bon sang. « Désolé, j’étais en train d’éclater la tronche du sbire de Minski », il réplique, amer. « Encore un type qui voulait nous arnaquer sur le paiement. Je pense qu’on envoie pas un message assez clair aux clients, Grads », il ajoute dans un haussement d’épaule. « Les messages, c’est toi qui t’en charge Izaak, moi ce que je veux, c’est de l’argent pour la retraite ». Le grand-père est intransigeant, digne, froid parfois. Il lui a offert une éducation étrange, à mi-chemin entre un amour presque paternel et une violence colérique. Izaak ne connaît pas grand chose d’autre et de toute façon, qu’aurait-il bien pu récolter ? Grads est le seul homme qui a voulu de lui au final, ses parents ayant préféré le départ à une vie coincée comme celle qu’il vit désormais, à la différence près qu’Izaak aime sa vie, et que si elle le questionne parfois à cause de la pression, du stress et des enjeux, il ne veut pas en changer.

Le vieil homme finit par jeter un dossier sur la table et s’éclaircir la voix. « C’est une taupe », il marmonne. « Je déteste les taupes. Il travaille à l’informatique, et visiblement, il a donné des informations à un concurrent direct qui commence à se faire un nom en Russie – je veux que tu l’arrêtes. Procède comme tu veux, mais ce type doit dégager. Je ne veux pas en entendre parler, je ne veux rien savoir. Il a une femme et deux gosses qui résident dans le centre de Varsovie, et elle doit sans doute avoir des informations. Fais le ménage ». Izaak laisse aller ses yeux entre le dossier et son grand-père, son rythme cardiaque retrouvant des battements anormalement élevés. Il a envie de répondre non – mais non n’est pas une réponse qu’un Baranowski accepte, et liens familiaux ou non, Izaak ne veut pas être l’ennemi de son grand-père, même pour quelques heures. Alors il tire le dossier vers lui, allume une autre cigarette, et tire nerveusement dessus tandis que son grand-père l’abandonne. Tout à coup, son environnement change, l’air se réchauffe et une musique étrange résonne dans son esprit. Il soupire et ferme les yeux tandis qu’une présence se dessine dans son dos – « C’est pas le moment », il lance, en tirant à nouveau sur sa cigarette. Il rouvre les yeux, installé sur les toits d’un grand immeuble qui lui offre une vue pas croyable.

Sur San Francisco.